Une aiguille dans une botte de foin
Les nanoparticules sont des éléments qui se meuhsurent en nanomètres, unités un milliard de fois plus petit qu’un mètre : bienvenue dans le monde de l’infiniment petit ! Pour vous faire une idée plus concrète, disons que 1000 objets nanométriques tiennent dans l’épaisseur d’un cheveu. Ou qu’il y a le même rapport de taille entre une nanoparticule et un globule rouge qu’entre un ballon de foot et un stade. Ces molécules ultra-minuscules sont présentes à l’état naturel (les virus sont les plus petits nano-objets naturels), mais on peut aussi les « retravailler » de façon artificielle, parce que leur mini-taille leur confère des propriétés incroyables.
À l’échelle de l’atomeuh, les propriétés des matériaux classiques sont bouleversées : le cuivre devient élastique, les métaux isolants et le carbone plus dur que l’acier ! Une vraie “révolution nanotechnologique”, qui intéresse vachement l’industrie. Selon la National Science Fondation, les produits issus des nanotechnologies génèreront d’ici 2015 un marché de mille milliards de dollars : de l’infiniment petit… à l’infiniment grand ! Les états comme les industriels investissent donc dans ce secteur promis à une croissance extraordinaire. Mais déjà, et plutôt discrètement, les nanoparticules ont fait leur entrée dans les produits de consommation courante, voire mêmeuh dans notre assiette…
Des nanos à la louche
Combien et quels produits contiennent des nanoparticules ? Impossible à dire, parce que jusqu’à maintenant les fabricants n’étaient pas obligés de le déclarer. L’Agence Française de Sécurité Sanitaire (AFSSET) estime pourtant que plus de 600 produits de consommation courante sont concernés, sans étiquetage particulier. Le principal domaine concerné est celui de la santé et des sports (textiles, accessoires de sport, cosmétiques, soins, crème solaire), suivi de l’électronique et de l’informatique, puis les revêtements de surface (enduits, peintures) et enfin l’alimentation.
Dans le domaine alimentaire, les nanotechnologies sont utilisées dans des matériaux au contact des aliments : emballages, conditionnement, surfaces de découpe, parois de frigos… Sous forme de « nanocouches » qui protègent de l’humidité et prolongent la conservation, ou de « nanopuces » intégrées pour surveiller l’évolution microbiologique des produits, ou encore de « nanoparticules » à effet antibactérien.
Les nanoparticules qui modifient la couleur, l’odeur, le goût, ou la texture des aliments seraient encore de la science-fiction en Europe -ce qui n’est déjà plus le cas aux Etats-Unis. Selon le Ministère de l’Agriculture, « les applications commerciales des nanotechnologies dans l’aliment restent marginales. Aucune demande d’autorisation, obligatoire avant toute mise sur le marché d’un nouvel aliment, n’a été recensée au niveau européen » (1). Meuh, pas très logique cette réponse : s’il en existe, même peu, pourquoi aucune autorisation n’a été demandée ? Ainsi, poursuit le Ministère, « des produits à l’échelle nanométrique sont utilisés depuis de nombreuses années en Europe et en France dans les aliments courants », comme « la silice, additif antiagglomérant » utilisé dans le sel, le sucre et le chocolat en poudre pour éviter la formation de grumeaux. Puisque cela dure depuis longtemps, aucune raison de s’inquiéter des effets sur notre santé…
Zut, j’ai avalé un nano !
Changement de ton avec l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des aliments qui « en appelle à la prudence », reconnaissant que « les connaissances sur la toxicité des nanoparticules manufacturées sont lacunaires. De nombreuses questions restent à résoudre avant de pouvoir évaluer les risques et les bénéfices […] Il n’existe pas de méthode permettant de mesurer et de suivre le devenir de nanoparticules manufacturées dans des matrices complexes (environnement, aliments, organisme, etc.) Considérant ces incertitudes, l’Agence, de même que d’autres instances internationales, a conclu à l’impossibilité d’évaluer l’exposition du consommateur et les risques sanitaires liés à l’ingestion de nanoparticules » (2). Dommage pour les consommateurs !
Du fait de leur minuscule taille, il semblerait en effet que ces particules puissent traverser les barrières biologiques naturelles de protection et circuler dans tout l’organisme : peau, tissus, cerveau, alvéoles pulmonaires…et échappent aux moyens de détection habituels. On ne sait pas grand chose non plus des risques d’accumulation, de transfert dans l’environnement, ou de leur biodégradabilité. Pour ajouter à la complexité de la situation, les propriétés et la toxicité des particules varient selon leur taille, leur morphologie et leur composition chimique. Donc, même si l’on décidait de tester tous les nanomatériaux actuels (ce qui prendrait près de 50 ans !), il serait quasiment impossible d’en tirer des conclusions générales…
Rien na(no) déclarer ?
Du côté de l’Union Européenne, il n’existe pas de régulation spécifique. Mais la France a pris des dispositions : depuis le 1er janvier 2013, « l’ensemble des fabricants, distributeurs ou importateurs doit déclarer les usages de substances à l’état nanoparticulaire, ainsi que les quantités annuelles produites, importées et distribuées sur le territoire français » (3). Cela doit permettre d’identifier les produits commercialisés contenant des nanoparticules, d’assurer une traçabilité et d’informer le public. Mais la promesse faite par le gouvernement de mettre en place “un étiquetage systématique des ingrédients nanoparticulaires” dès 2014 n’a pas encore vu le jour…
Une petite vacherie quand même : pour qu’un produit soit soumis à la déclaration obligatoire, il doit contenir au moins 50 % de nanoparticules –ce qui exclura donc de nombreux produits-, et mesurer entre 1 et 100 nanomètres, alors que les Etats-Unis ont fixé la limite à 1000 nm : les mailles du filet ne seraient-elles pas trop larges pour attraper ces si petites choses ? Et puis, les fabricants n’ont toujours pas l’obligation de mener des tests de toxicité… Un premier pas vers la transparence, on ne va quand mêmeuh pas bouder. Mais la vigilance reste de mise : la route risque d’être longue avant que les consommateurs ne soient correctement informés. Un peu plus de prudence, beaucoup de fonds pour les études sur les risques (4), et bien plus de régulation: voici la fameuhse recette de la confiance !
(1) http://alimentation.gouv.fr/nanoparticules
(2) http://www.anses.fr/index.htm
(3)http://www.developpement-durable.gouv.fr/La-declaration-des-nanomateriaux.html
(4) http://www.economie.gouv.fr/cedef/dossier-documentaire-nanotechnologies : « Au niveau mondial, en 2005, si 10 milliards de dollars ont été consacrés à la recherche et au développement dans le domaine des nanosciences et des nanotechnologies, seulement 40 millions de dollars l’ont été à des fins de recherche sur les effets secondaires éventuels. En d’autres termes, 0,4% seulement des dépenses au niveau mondial ont été consacrées à la recherche sur les risques ».