Le “glyphosate”, l’herbicide le plus utilisé au monde, a beaucoup fait parler de lui dans les medias ces dernières semaines. Au coeur du sujet, la question du renouvellement de son autorisation, ou non, dans l’Union Européenne pour les cinq prochaines années. Après deux ans d’atermoiements, la décision a été rendue le 27 novembre 2017 : la Commission européenne a annoncé que le pesticide serait autorisé jusqu’en 2022.
Une décision qui donne vraiment envie de meugler très fort. Voici pourquoi.
Le Glyphosate, kézaco ?
Le glyphosate est une molécule chimique. C’est le principe actif du désherbant le plus vendu au monde, commercialisé sous la marque Roundup par la firme américaine Monsanto depuis 1974. Le brevet étant tombé dans le domaine public depuis 2000, le glyphosate est désormais aussi utilisé dans la composition de la plupart des désherbants.
Quelques chiffres clés sur les désherbants à base de glyphosate :
- 800 000 tonnes vendues chaque année dans le monde
- le pesticide le plus vendu en France entre 2008 et 2013
- 9000 tonnes utilisées par an en France (environ 7500 pour un usage agricole et 1500 pour un usage en jardin)
Ses propriétés, sa simplicité d’utilisation et son coût modique (2€ le litre) expliquent que l’agriculture mondiale soit devenue dépendante de ce type de désherbant. Difficile de faire plus simple pour se débarrasser des “mauvaises herbes”, en un seul passage, sans travail du sol : en termes de coût comme de temps de travail, la rentabilité économique du glyphosate est imbattable.
Pourquoi nous (et beaucoup d’autres) sommes contre !
Plus d’ 1,3 million d’européens ont fait entendre leur voix en signant l’initiative citoyenne européenne « Stop glyphosate », demandant à l’Europe de ne pas renouveler l’autorisation et de réformer la procédure d’évaluation (1). Rappelons aussi que le vote en faveur de l’autorisation a été obtenu à une très courte majorité : 65,71% sur les 65% requis ! La France, l’Autriche, la Grèce et l’Italie font partie des pays qui ont voté contre. On est donc bien loin du consensus, et pour cause.
- Parce qu’il y a trop de zones d’ombres sur les évaluations faites par les agences
Alors que le Centre International de Recherche sur le Cancer (organe de l’OMS, Organisation Mondiale de la Santé) a classé le glyphosate comme “cancérogène probable” en mai 2015, les deux Agences d’expertise européennes (EFSA-Autorité Européenne de Sécurité des Aliments et l’ECHA-Agence européenne des produits chimiques) ont rendu un avis favorable, préalable au vote. Elles se sont basées sur le rapport de l’Institut fédéral allemand d’évaluation des risques (BRF), chargé par l’Europe d’évaluer les risques pour la santé.
Or, le rapport allemand serait en grande partie un “copié-collé” d’une étude, publiée par… Monsanto, en 2012. Par ailleurs, le Corporate Europe Observatory, (groupe de recherche sur l’influence des lobbys dans les institutions européennes), aurait eu connaissance d’un échange de mails entre l’EFSA et la “Glyphosate Task Force”, groupe d’une vingtaine d’industriels concernés, mené par Monsanto. L’EFSA leur aurait donné l’accès à leurs conclusions ainsi que la possibilité de les modifier, et aurait accepté la majorité des modifications voulues par la Task Force.
Ces mises en cause sont suffisamment graves pour que plusieurs ONG aient décidé d’attaquer en justice ces deux agences, les accusant de ne pas avoir conduit « une évaluation indépendante, objective et transparente » du dossier des industriels.
- Parce que dans le doute, on doit appliquer le principe de précaution
La toxicité des glyphosates a été mesurée sur la faune, la flore et l’environnement. Les conséquences négatives sont connues. Mais pour de multiples raisons (éthiques, financières, durée, complexité), les études sur l’être humain sont encore peu nombreuses et contradictoires. Difficile, qui plus est, de faire le point quand une grande partie des études émane des industriels eux-mêmes… A ce jour, la communauté scientifique est donc divisée sur le degré de toxicité du glyphosate.
Quoi qu’il en soit, de nombreuses études ont démontré que les adjuvants utilisés dans la composition de ces herbicides, comme le polyoxyéthylène-amine ou POEA, étaient encore beaucoup plus nocifs que le principe actif du glyphosate. Or ces adjuvants sont indispensables : les agriculteurs n’utilisent jamais le glyphosate pur. Pourtant, seules les molécules dites actives sont testées avant la mise sur le marché. Le fameux “effet cocktail” (molécules + adjuvants, ou différentes molécules additionnées) n’est donc pas pris en compte, ce qui constitue, évidemment, une énorme faille.
Des scientifiques qui s’affrontent. Des études partiales. Des évaluations incomplètes. Pourquoi dans ce cas ne pas appliquer le principe de précaution ?
- Parce qu’il y existe des alternatives et qu’il faut les développer
En France, le glyphosate est déjà interdit pour l’entretien des espaces verts et des espaces publics depuis le 1er janvier 2017. Son usage sera également interdit pour les particuliers au 1er janvier 2019. Reste la question du secteur agricole, le plus gros “consommateur” d’herbicide…
Il existe des solutions alternatives pour les agriculteurs. Ce sont les techniques agronomes utilisées en agriculture bio : pratiquer la rotation des cultures, utiliser le couvert végétal broyé comme “engrais vert” avant un labour à vitesse lente pour enfouir les graines indésirables, décaler la date de semis, ou encore réaliser un faux semis pour faire lever les mauvaises herbes et s’en débarrasser…Ces opérations sont très efficaces, mais moins rentables parce qu’elles demandent plus de temps et de main d’oeuvre. Ce qui explique d’une part le coût plus élevé des produits bio, et d’autre part la crainte des agriculteurs conventionnels de ne plus être compétitifs par rapport à leurs concurrents européens.
Interdire le glyphosate, et plus largement se passer des pesticides, demande donc de mettre en place une transition réfléchie, préparée en amont, proposant des solutions concrètes : développer la formation autour de ces techniques alternatives, investir davantage dans la recherché appliquée pour faire les progresser, sensibiliser les consommateurs, faire preuve d’une vraie volonté politique…
A l’issue du vote européen, le Président Français a déclaré : « J’ai demandé au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que l’utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans trois ans ». En effet, malgré la décision de Bruxelles, la France peut légalement interdire sur son territoire tous les produits qui contiennent du glyphosate. Reste la question cruciale des « alternatives », en suspension… Le dossier reste donc ouvert, à suivre avec vigilance.
(1) https://stopglyphosate.org/fr/
Sources :
http://www.lepoint.fr/environnement/sante-et-environnement-ce-que-dit-la-science-sur-le-glyphosate-15-09-2017-2157302_1927.php
https://www.alternatives-economiques.fr/glyphosate-lombre-de-monsanto-plane-leurope/00081424