L’agronome Marc Dufumier* répondre à la question : « Pourquoi le bio ? ». Les 2 Vaches vous résumeuh l’essentiel de ses réflexions vachement intéressantes…
La suite mais pas la faim
Quels sont les enjeux de demain pour l’agriculture ? Nourrir une population croissante -9 milliards d’êtres humains en 2050, contre 7 aujourd’hui ! Et si possible, avec une alimentation de qualité : qualité sanitaire, gustative et nutritionnelle, avec un accès aux productions animales (lait, viande, œufs) pour le plus grand nombre. Ce qui implique aussi de nourrir les bêtes, donc de doubler la production végétale d’ici 2050.
L’alimentation devra rester à des coûts modérés pour le consommateur, mais rémunérateurs pour les paysans. Enfin, il faudra que cette agriculture soit sans dommage pour notre cadre de vie, comme pour les potentialités productives de notre environnement. Or l’écosystème est fragile : de graves meuhnaces pèsent sur la biodiversité. A commencer par l’existence des abeilles, dont le rôle d’insecte pollinisateur est indispensable : sans elles, pas de fécondation des fleurs, donc plus de fruits, etc. Pour faire face à tous ces enjeux essentiels, l’agriculture devra sans aucun doute produire plus, mais mieux : alors cap sur une agriculture écologiquement intensive !
Une situation pas fameuhse
Sans sombrer dans le pessimismeuh, le contexte actuel est peu favorable. Les agriculteurs doivent s’adapter au réchauffement climatique global, avec des aléas climatiques plus fréquents et plus intenses. Mais ils ont peut-être aussi un rôle à jouer côté gaz à effet de serre ! Par exemple, en restaurant l’humus, capable de stocker le gaz carbonique. En utilisant moins d’engrais azoté dans les champs, pour réduire les émissions de protoxyde d’azote. Et désolé pour nos copines laitières, mais la multiplication des troupeaux de bovins –gros producteurs de méthane !- pour répondre à la demande croissante de viande et de produits laitiers n’est pas sans conséquences…
Peu favorable aussi, l’extension des villes sur les meilleures terres agricoles : il va falloir compenser cette perte de surface agricole en produisant davantage à l’hectare. De nombreuses ressources naturelles non renouvelables (énergies fossiles, phosphate, gaz naturel…) vont se raréfier, donc devenir plus chères. Et donc le coût de l’engrais phosphaté augmentera… Plutôt que de continuer à foncer tête baissée, n’est-il pas temps de réfléchir à une nouvelle formeuh d’agriculture intensive, respectueuse de l’environnement ?
Le modernismeuh à tout crin
M. Dufumier, qui a fait partie des agronomes de l’INRA chargés de créer des « variétés améliorées » à très haut rendement à l’hectare, n’hésite pas à pointer les erreurs passées. Ainsi, herbicides et fongicides ont été utilisés sur les parcelles expérimentales pour maximiser les chances de réussite : ensuite, les agriculteurs ont dû reproduire les conditions de l’expérience ! Première conséquence : la dépendance aux pesticides. Seconde conséquence : la mise en place d’un véritable cercle vicieux. On élimine les coccinelles, prédateurs des pucerons, donc on se retrouve avec trop de pucerons, alors on crée une seconde molécule pesticide… Les produits en « -cide » ne suffisent plus ? On passe aux OGM, en intégrant directement la molécule dans la variété ! Mais que faire quand certains prédateurs développent une résistance ? « Accélérer la commercialisation de variétés de maïs comportant au moins une seconde toxine insecticide, qui serait fatale aux coléoptères ayant développé une résistance à la première », répond Monsanto (1) ! Et ainsi de suite… meuh jusqu’où ?
C’est cette « stratégie de la rustine », inévitablement vouée à l’échec à long terme, que M. Dufumier dénonce. Autrefois, l’agriculteur cherchait ses semences dans ses propres champs, en sélectionnant les variétés les plus résistantes aux insectes, sans les éradiquer ni attenter à la biodiversité végétale. Aujourd’hui, ce ne sont plus les variétés qui s’adaptent à l’environnement, mais tous les environnements qu’il faut adapter à quelques variétés végétales ! Et sans prendre en compte les coûts environnementaux.
Autre erreur, la spécialisation régionale poussée à l’extrême. Par exemple, la Bretagne concentre plus de la moitié de la production porcine française (presque 8 millions de porcs). Les terres sont saturées d’azote lié aux déjections animales et aux engrais. Cet azote en trop (80 000 tonnes), drainé par les rivières, finit dans le mer… où les algues vertes prolifèrent. Alors que l’azote excédentaire pourrait fertiliser les champs en Ile-de-France, où il n’y a plus de troupeaux ! D’où l’utilité de coupler élevage et agriculture, ce qui éviterait aussi d’importer des tourteaux de soja pour nourrir les bêtes et du gaz naturel pour fertiliser les sols.
Sur le bio-nne piste
Apprendre à produire autrement, au XXIe siècle, c’est parfois exploiter des techniques anciennes, ou s’inspirer de pratiques lointaines, mais c’est surtout aller vers une agriculture vachement savante. La microbiologie des sols peut nous apprendre beaucoup pour améliorer la fertilité naturelle de ce support vivant et complexe. Utiliser les cycles et valoriser les ressources naturelles pour produire davantage passe par différentes pistes :
- maximiser la captation de l’énergie solaire, donc la photosynthèse à l’hectare :
- empêcher le ruissellement de l’eau avec des barrières naturelles (feuilles, vers de terre) ;
- semer des légumineuses (luzerne, trèfles, sainfoin) véritable engrais vert, capables de fixer l’azote dans le sol et de produire des protéines végétales pour nourrir les bêtes ;
- associer agriculture et élevage ;
- maintenir la biodiversité et rechercher les insectes auxiliaires, « ravageurs de ravageurs » : la coccinelle qui neutralise le puceron, le scarabée qui neutralise la limace, etc.
« Aujourd’hui, il faut penser une agriculture qui ne tue pas » : meuhrci, Monsieur Dufumier, pour votre clairvoyance et votre engagement. Comme vous, Les 2 Vaches sont sûr que ce qui est bon pour l’environnement est bon pour l’homme…. Alors ensemble, supprimons le point d’interrogation : le bio est l’avenir de l’agriculture, et nous savons maintenant pourquoi.
*Marc Dufumier, ingénieur agronome, est enseignant-chercheur à l’AgroParisTech, qu’il a dirigée de 2002 à 2011. Il a participé à de nombreux projets et programmes de développement agricole, en France comme à l’étranger. Expert auprès de la FAO et de la Banque mondiale, il est régulièrement sollicité par les gouvernements étrangers confrontés à des crises alimentaires ou agricoles. Auteur de Famine au sud, malbouffe au nord, comment le bio peut nous sauver ?, NiL éditions, 2012
(1) « Monsanto tente d’endiguer la résistance d’un coléoptère à son “maïs insecticide” », Le Monde, 22/01/13